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Sur Instagram, la visibilité des artistes reste soumise aux algorithmes

Sur Instagram, la visibilité des artistes reste soumise aux algorithmes

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© Endemol Shine UK/Netflix

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Par Pauline Allione

Publié le

Dans une jungle de contenus, la plateforme impose ses lois.

Aujourd’hui, “si t’as pas Insta, t’as wallou [rien]“. C’est au moins vrai pour les artistes face auxquel·le·s la plateforme au Polaroid rose s’est rapidement imposée comme une vitrine indispensable mais, face au nombre de contenus publiés chaque jour, des algorithmes se chargent de faire le tri pour montrer aux utilisateur·rice·s les posts les plus susceptibles de les intéresser.

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Une fois votre feed passé à la moulinette des algorithmes, vous ne verriez que 25 % des publications des comptes auxquels vous êtes abonné·e. Un tri aléatoire qui favorise les personnes dont les contenus se prêtent à l’esthétique du réseau social et qui jouent à fond l’Insta game (comme Jacquemus, qui coche ces deux cases).

Like, commente, partage

Revenons d’abord sur le fonctionnement desdits algorithmes, qui se chargent gentiment d’organiser notre feed à notre place. Ceux-ci prennent en compte le caractère récent du post, l’intérêt qu’il est susceptible de générer selon ce que l’on aime, ou encore le degré de relation que l’on a avec la personne. Surtout, il y a l’engagement : plus une publication est populaire et génère des likes, commentaires, enregistrements et partages, plus elle remontera dans les algorithmes.

“Si l’un de mes posts provoque de nombreuses réactions dans les minutes qui suivent sa publication, j’ai l’impression que sa visibilité est ensuite prolongée et accrue, alors je fais toujours attention à poster dans les heures d’activité principales de mes abonnés. Quand je poste pendant des heures creuses, mes dessins suscitent moins de réactions et sont plus rapidement écartés par Instagram”, constate Gabriel, étudiant en illustration.

La pression du flop

Instagram a beau faire peu à peu disparaître le like pour soulager ses utilisateur·rice·s de l’anxiété sociale, le double tap reste néanmoins le meilleur moyen de gagner en visibilité sur la plateforme. Alors pour Charlotte, étudiante à la Haute école des arts du Rhin et spécialisée dans la BD, voir l’une de ses publications “flopper”, c’est remettre tout son travail en question :

“Il y a quelques années je postais beaucoup plus pour moi, puis c’est devenu une spirale infernale. Quand l’un de mes posts ne buzze pas comme je l’aurais voulu, je me pose mille questions, je stresse et je finis par supprimer… Je ne veux pas que les gens voient ça.”

Certains domaines artistiques qui se prêtent moins à l’esthétique ou à l’esprit d’Instagram sont donc discriminés par essence. “En illustration, une BD humoristique ou engagée aura tendance à susciter beaucoup plus de réactions et sera davantage mise en avant qu’une image plus contemplative”, rapporte Gabriel, à qui le sujet a causé quelques insomnies.

Sans oublier la politique de la plateforme et ses problèmes de censure réguliers que Nina, tatoueuse à Paris, connaît bien. Après la création de harnais et de chokers en cuir sur-mesure, l’artiste continue d’utiliser Instagram comme vitrine, malgré quelques expériences négatives. “La censure est très présente et aléatoire. Mes différents comptes ont toujours été shadow ban pour cause de nudité. Mon travail tourne autour du corps et, étant tatoueuse, il m’est difficile de ne pas montrer de peau.”

Acheter sa visibilité

Si des stratégies se sont développées au fil du temps pour dompter les algorithmes, avec l’apparition des robots de likes et de follows – auxquels le réseau a fait la chasse – ou encore les pods, des groupes privés sur Telegram qui s’échangent des réactions sur Insta (version modernisée des “1 com lâché = 1 com rendu” sur feu Skyblog), le plus simple reste bien souvent la pub.

“On comprend pourquoi les algorithmes ont été créés, mais ils sont problématiques puisque, pour que sa dernière œuvre soit visible, un artiste va devoir payer pour booster sa publication”, détaille Alexia Guggémos, journaliste, critique d’art et autrice du Guide de survie digitale. Spécialiste des stratégies de diffusion de l’art sur les médias sociaux, elle a créé le “Arts Students Week”, un concours artistique sur Instagram à destination des moins de 30 ans, dont la sixième édition se tiendra du 5 au 11 avril 2021.

Profession : coach Instagram

Reste donc la possibilité de sponsoriser ses contenus ou de carrément s’offrir un coach pour apprendre à gérer son compte Instagram comme un·e pro. Dans la jungle d’algorithmes au fonctionnement opaque, des spécialistes ont fleuri pour proposer leurs services à celles et ceux qui désirent utiliser le réseau dans un but professionnel. Aurélie Moulin, experte en marketing Instagram, compte de nombreux·ses artistes parmi ses client·e·s et les aide à gagner en visibilité : photographes, peintres, sculpteur·rice·s, artisan·e·s…

“Instagram n’est pas facile à comprendre et à maîtriser, ce n’est pas leur métier. Le mien, c’est de les aider. Il est indispensable de comprendre l’algorithme, au moins dans ses grandes lignes, pour faire en sorte d’être vu par ses abonnés et découvert par de nouvelles personnes. Sinon, il n’y a aucun intérêt à perdre son temps à publier.”

Parmi les conseils dispensés par les expert·e·s : publier en “heure de pointe”, varier les formats, reposter ses publications en stories… La revue Influenth a récemment donné trois clés pour craquer l’algorithme d’Instagram, que l’on pourrait résumer assez simplement : utiliser toutes les fonctionnalités de la plateforme – posts, stories, lives, reels – et publier régulièrement.

Bref, plus l’on se prête au jeu du réseau social, plus il nous le rend bien. “La première fois que j’ai entendu le nombre de posts que je devais publier chaque semaine, j’ai dû m’empêcher d’éclater de rire”, raconte une entrepreneuse à qui un représentant d’Instagram a conseillé de publier chaque semaine une dizaine de stories, trois posts, environ cinq reels et une à trois vidéos IGTV… Tenir le rythme, c’est tout un métier.

La créativité dans le prisme des robots

“Il y a des moments où je me suis pris au jeu, en essayant de publier régulièrement et à des heures précises, en utilisant des hashtags, en analysant quels contenus fonctionnaient le mieux”, retrace Grégory Mignard, photographe. Désormais, plus question de se soumettre plus longtemps à ce qu’il appelle le “diktat des algorithmes”. “J’ai le sentiment que beaucoup de contenus sont créés pour venir nourrir des algorithmes, ça fausse la créativité”, accuse l’artiste.

Une impression qui n’est pas totalement étrangère à Gabriel, que l’idée de créer spécialement pour Instagram a effleuré plus d’une fois. “Parfois, il est tentant de chercher à adapter son travail pour qu’il corresponde à ce qui marche le mieux et gagner en visibilité plus rapidement… mais je ne pense pas que ce soit la bonne solution.”

Forcé·e·s d’y rester sans trop adhérer à l’esprit, certain·e·s, comme Grégory Mignard, se sentent enchaîné·e·s à la plateforme. “J’avais l’impression d’entrer dans un moule pour faire comme tout le monde mais, aujourd’hui, je m’en suis détaché”, affirme-t-il. En attendant de trouver une meilleure alternative à Instagram, qui reste aujourd’hui “la plus grande vitrine commerciale au monde”, selon les mots d’Alexia Guggémos, le photographe a décidé d’effacer tous ses contenus et de repartir d’une page blanche pour se libérer, au moins partiellement, des calculs et prédictions automatisées de la plateforme – et tant pis s’il fait moins de likes.

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