Née sans bras ni jambes, Sarah Biffin peignait avec ses dents

Née sans bras ni jambes, Sarah Biffin peignait avec ses dents

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© Sarah Biffin/Sotheby’s ; © Sarah Biffin/Collection of the Wellcome Collection, London

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Par Anna Finot

Publié le

Les œuvres de cette artiste du XIXe siècle sont aujourd’hui revendues une fortune aux enchères.

Tandis que son histoire a brièvement disparu des archives de l’histoire de l’art, ou plutôt qu’elle a été occultée, Sarah Biffin, une artiste du XIXe siècle, intéresse désormais plus que jamais le marché de l’art. Et pour cause. S’il y a deux ans, le record aux enchères des œuvres de Biffin environnait les 3 400 dollars, aujourd’hui, il explose les compteurs.

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Dernièrement, une de ses petites aquarelles de son époque victorienne s’est vendue deux fois plus cher que son estimation, soit plus de 12 000 dollars, rapporte ArtnetUn succès soudain qui s’explique notamment par une histoire sensationnelle à la hauteur de son talent.

Sarah Biffin est une peintre miniaturiste anglaise célèbre par son triste sort : une malformation à la naissance l’a atrophiée de ses bras et ses jambes. Un handicap très lourd qui ne l’empêchera pas d’être extrêmement douée pour le dessin et la peinture. Car la jeune artiste trouve une technique infaillible dès l’âge de 13 ans pour palier son invalidité : peindre avec le pinceau entre les dents.

Cette habileté épatante ne passe pas inaperçue à l’époque et certains vont exploiter cette particularité. À 28 ans, Sarah Biffin enchaîne alors les foires et les expositions où le public paie pour la regarder peindre, obtenir des dédicaces ou acheter ses œuvres. Son premier professeur, un certain Dukes, promettait même (pour l’attraction) 1 000 guinées à quiconque oserait être insatisfait·e des prouesses de Biffin. En revanche, il ne versait que cinq livres par an à l’artiste.

Un autre homme voudra faire profit de son talent : le comte de Morton, George Douglas, qui la convaincra de quitter Dukes, ce qu’elle finira par faire dix ans plus tard. Installée à Londres, Sarah Biffin prendra des cours avec un peintre de la Royal Academy of Arts, William Craig. Cet établissement prestigieux reconnaîtra son talent en lui décernant, peu de temps après, la médaille d’argent pour l’une de ses œuvres.

Désormais reconnue, l’artiste ouvre un atelier à Londres, jusqu’à attirer l’attention de la famille royale. La reine Victoria lui commandera un portrait de son père, Edward, qu’elle réalisera en 1839. Ce tableau se trouve aujourd’hui dans le Royal Collection Trust.

Son succès de l’époque a pourtant été invisibilisé au fil du temps – comme celui d’un bon nombre d’artistes femmes. Et il faudra attendre 2019 pour entendre à nouveau parler de Sarah Biffin sur le marché de l’art. Son record d’enchères s’établissait jusque-là à 3 000 dollars et il culmine aujourd’hui jusqu’à 200 000 dollars. Une reconnaissance soudaine de ses œuvres qui permet au grand public contemporain de découvrir l’artiste et son talent.

“L’histoire de Biffin et le fait qu’elle était si talentueuse compte tenu de son handicap est ce qui a vraiment attiré les collectionneurs, a déclaré Lawrence Hendra, travaillant pour le marchand d’art Philip Mould. Le public a un profond respect pour celles et ceux qui sont capables de surmonter l’adversité, et je pense que peu d’artistes y sont parvenues dans une plus large mesure que Biffin.”

Une véritable résurgence qu’Emma Rutherford, spécialiste des portraits miniatures chez Philip Mould and Company à Londres, confirme également en écrivant à propos d’un autoportrait :

“Biffin est une figure de force car elle a surmonté non seulement les préjugés à l’égard des artistes femmes professionnelles, mais aussi à l’égard des personnes considérées comme des monstres de foire. Dès sa naissance, la chance n’était pas de son côté, mais nous est présentée ici, avec cet autoportrait qu’elle a fait d’elle-même, l’image qu’elle voulait présenter au monde. Ici, elle se dévoile avant tout comme une artiste, entourée des outils de son métier, dont ce pinceau rangé dans sa manche, prêt à recevoir sa peinture.”