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L’histoire derrière une image emblématique du XXIe siècle : The Kiss

L’histoire derrière une image emblématique du XXIe siècle : The Kiss

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Par Lise Lanot

Publié le

Il y a 20 ans, la photo de deux femmes s'embrassant pouvait être synonyme de mini-révolution. Retour sur un cliché iconique.

Alors qu’on apprenait début janvier le décès de la photographe de la célèbre image The Kiss, présentant deux femmes s’embrassant sur un lit blanc, le site I-D est revenu sur cette photographie emblématique. 

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Au début des années 2000, la photographe britannique Tanya Chalkin prenait une photo qui visait à donner un nouveau regard sur l’homosexualité et allait faire couler beaucoup d’encre. C’est queercompany.com (qui “propos[ait] des services financiers et des produits sur les marchés gays et lesbiens” précisait le Guardian en janvier 2001) qui avait commandé une série de photographies afin de lancer leur site. La cofondatrice du site, Henrietta Morrison, résume à I-D l’idée initiale :

“Le brief, c’était de créer des images inspirantes. J’en avais marre de voir les pages du Gay Times rempli de porno gay masculin et de contenu sexuel. Je voulais des images qui disent vraiment quelque chose.”

Se rappelant d’une photographe qui avait déjà travaillé pour elle, une certaine Tanya Chalkin, Henrietta Morrison lui propose de devenir l’auteur de l’image de lancement du site. Elena Charbila (la blonde sur la photo) et Tabitha Denholm (la brune) sont les deux modèles présentes sur la photo. Les deux femmes ne s’attendaient certainement pas à entrer ainsi dans l’histoire. Tabitha indique qu’elle ne croyait participer qu’à “un petit travail qui finirait au dos d’un magazine spécialisé”. Elena raconte plus en détail comment s’est déroulée cette journée de shooting de décembre 2001 :

“J’ai vu ce grand lit blanc surplombé d’une échelle sur laquelle était perchée Tanya. Elle faisait des tests en contre-plongée. L’idée originale était de recréer la photo de John [Lennon] et Yoko [Ono] ; on a pris quelques images de Tabitha en position fœtale. J’étais un peu plus timide quand il a fallu montrer plus de sexualité et d’affection, donc quelqu’un est allé chercher de la vodka et on a mis un peu de musique.”

Dans l’esprit de ne pas proposer quelque chose de trop vulgaire ou explicite (et de ne pas se faire censurer par les pouvoirs publics), Henrietta Morrison a refusé de faire poser les filles nue ou seins nus et a préféré les vêtir de simples T-shirts et culottes blanches : “On voulait quelque chose de sexy mais pas porno”.

Une photo élevée au rang d’icône en Angleterre

Si l’image a eu tant de succès, c’est bien sûr d’une part grâce à sa beauté et sa simplicité, mais aussi par un heureux hasard. La photo, placée sur un fond blanc et agrémentée de la mention “Thank God for women” (“Dieu merci il y a les femmes”, ndlr), devait être placardée dans une dizaine de lieux londoniens afin de promouvoir le site Web.

L’attaché de presse du site, Steve Bustin, raconte avoir reçu un coup de fil d’un de leurs acheteurs pub leur annonçant qu’un énorme panneau d’affichage était libre à un prix très bas. C’est comme ça que les deux femmes s’enlaçant se sont retrouvées agrandies sur environ 27 mètres sur 3, sur le côté de l’un des plus grands gratte-ciel de Londres à l’époque : le Centre Point, “un endroit emblématique” précise Steve Bustin.

La campagne a eu un effet fou et, très vite, les médias se sont emparés de l’histoire et se sont démenés afin de découvrir qui était à l’origine de cette photo et qui étaient ces deux femmes en débardeurs blancs. Bien qu’ayant tenté de prévoir le coup en évitant la nudité, le site n’a pas évité les plaintes. L’Advertising Standards Authority (ASA), l’autorité britannique qui régule la publicité dans le pays, a reçu plus de cinquante plaintes de la part d’associations ou de particuliers. Cependant, l’ASA a rejeté toutes ces plaintes, expliquant que l’image n’était pas sexuellement explicite et qu’il était “très peu probable qu’elle affecte les enfants”, ajoute le Guardian à l’époque des faits.

Quinze ans plus tard, la photo fait partie de la culture populaire, particulièrement en Grande-Bretagne où les étudiants l’affichent dans leur chambre ou sur les réseaux. Le site queercompany est aujourd’hui fermé, mais celui-ci a réussi son coup en exposant une image simple et belle de deux femmes à l’air amoureux.

Le baiser dans l’histoire de l’art

Ce “kiss” n’est pas le seul baiser connu de l’histoire de l’art. D’autres représentations de baiser ont marqué certaines époques. Le Baiser de Klimt, réalisé de 1907 à 1908, est un symbole de l’art nouveau viennois et constitue l’œuvre la plus connue du peintre autrichien. Huile sur toile recouverte de feuilles d’or, la peinture explore les thèmes de l’amour et de la passion dans un élan particulièrement moderne.

Près de 40 ans plus tard, une nouvelle photo de baiser remue les esprits. Le jour de l’annonce de la capitulation du Japon, en 1945, le photographe Alfred Eisenstaedt immortalise un couple s’embrassant dans une rue new-yorkaise. Présentée comme un moment de liesse absolue, cette image a fait l’objet d’une réplique, sous la forme d’une statue haute de huit mètres. Exposée en 2014 sur le parvis du mémorial de Caen (Basse-Normandie), elle avait fait polémique.

Il y a quelques mois, la femme présente sur la photo mourait. En son hommage, nous rapportions sur Cheese l’histoire de cette image et de la statue. Lors de la pose de la statue, plusieurs associations s’étaient offusquées de l’histoire derrière ce baiser après les révélations de la jeune femme. Les deux jeunes gens n’étaient absolument pas en couple et ne se connaissaient même pas, le marin était d’ailleurs fiancé à une autre femme. À l’annonce de la capitulation japonaise, il serait sorti dans la rue et, “fou de joie” aurait embrassé la première venue, qui avait par la suite affirmé : “Tout d’un coup, un marin m’a attrapée. Ce n’était pas un moment romantique. C’était juste un geste pour célébrer la fin de la guerre.”

En temps de guerre, le baiser semble devenir particulièrement symbolique. En 1979, alors que la République démocratique allemande fête son trentième anniversaire. Erich Honecker, dirigeant de la RDA, reçoit Leonid Brejnev, secrétaire général du Parti communiste russe. L’Obs rapporte le témoignage du photographe français Régis Bossu, qui a pris ce jour-là une photo qui a fait le tour du monde :

“Nous devons alors nous farcir ces longs discours ennuyeux, suivis d’échanges de médailles et de baisers fraternels à la russe. J’ai une très mauvaise place derrière les têtes de mes collègues, mais, comme la plupart des autres photographes, je ne peux utiliser un grand angle.”

Le photographe appuie sur le déclencheur lorsque les visages des deux hommes se rapprochent. Le baiser de Brejnev et Honecker fait le tour du monde et son auteur affirme : “Ce très chaud baiser ne pouvait que faire fondre une guerre froide, n’est-ce pas ?” L’image fait forte impression et un artiste russe décide de la reproduire, dix ans plus tard, lorsque tombe le mur de Berlin, sur les vestiges de ce mur. Devenu un symbole de la guerre froide entré dans la pop culture, le baiser des deux politiques est toujours exposé à Berlin.

Qu’il soit érotique, protestataire, mis en scène ou forcé, le baiser a une place singulière à travers l’histoire. Sous couvert d’un geste familier, il permet parfois de représenter une époque, ses maux et ses débats.